Pharmacogénétique : quelles implications pratiques dans la maladie de Parkinson ?



Professeur David Devos
Université de Lille. CHU-Lille, Pharmacologie Médicale & Neurologie. Lille Neuroscience & Cognition, Inserm, UMR-S1172, France

Pharmacogénétique : quelles implications pratiques dans la maladie de Parkinson ?

Interview du 2 septembre 2020

Pouvez-vous présenter en quelques mots vos activités, avec un focus sur les liens entre vos 2 expertises que sont la pharmacologie et la neurologie ?

Bonjour, je suis le Professeur David Devos, je suis neurologue spécialisé dans les maladies neurodégénératives notamment la maladie de Parkinson et la sclérose latérale amyotrophique et professeur de pharmacologie médicale et cette double expertise permet de mener des études translationnelles à la fois précliniques au niveau cellulaire et in vivo et des grands essais thérapeutiques principalement dans les domaines du concept de stimulation dopaminergique continue, de « brain infusion » et également dans le domaine des « disease modifiers », donc pour tenter de trouver des traitements pour ralentir l’évolution des maladies neurodégénératives.

Pouvez-vous nous préciser la notion de pharmacogénétique, les différents mécanismes impliqués, et quel est son objectif final ?

Alors il est vrai que la pharmacogénétique est une science qui prend de plus en plus d’importance et qui a un avenir probablement très important, même si pour l’instant les indications en médecine quotidienne ne sont pas encore nombreuses.
Alors qu’est-ce que c’est que la pharmacogénétique ?
La pharmacogénétique est l’association justement de polymorphismes génétiques donc de variants génétiques qui peuvent être fréquents ou rares et qui vont influencer à la fois la pharmacocinétique, donc le devenir du médicament dans le corps, par exemple en ralentissant son métabolisme ou en l’accélérant, ça c’est les domaines les plus connus, avec notamment les variants des cytochromes 2D6 par exemple qui peuvent expliquer qu’il y a des métaboliseurs lents ou rapides et donc des personnes qui ont besoin de doses plus élevées ou moins élevées.
Et puis il y a la pharmacogénétique plus sur la pharmacodynamique, c’est-à-dire qui va influencer réellement l’efficacité du médicament, par exemple sur une sensibilité d’un récepteur.
Alors pour l’instant il n’y a pas vraiment d’indication de pharmacogénétique qu’on connaît qui vont modifier la prescription thérapeutique en termes de dose ou d’indication d’efficacité. En revanche il existe déjà - et ça a été bien mis en avant sur le site de la FDA (Food and Drug Administration) - qu’il y a certains variants, certains polymorphismes génétiques qui sont à risque pour certains médicaments et donc on a une liste d’une quinzaine, d’une vingtaine de médicaments où on sait que si l’on prescrit par exemple certains antiépileptiques dans certaines populations chinoises et bien ça peut être extrêmement grave en termes d’effets indésirables et donc il y a tout un ensemble comme ça d’indications qui sont assez rares, aussi pour certaines chimiothérapies.

La pharmacogénétique a-t-elle une place potentiellement importante en neurologie, et en particulier dans la maladie de Parkinson ?

Et donc tout naturellement on se pose la question de la pharmacogénétique en neurologie : est-ce que le fait de connaître le statut génétique précis des personnes que l’on va soigner va permettre d’anticiper soit une indication thérapeutique, en se disant que peut-être s’il a tel polymorphisme génétique ça sera un bon répondeur au traitement, voire même d’anticiper un effet indésirable comme on l’a vu auparavant ou encore d’aider à l’adaptation de dose.
Alors on peut, par exemple dans la maladie de Parkinson, il y a des publications qui ont montré que le polymorphisme du transporteur de la dopamine influençait la réponse à la L-Dopa, influençait aussi la réponse à des inhibiteurs de transporteurs de la dopamine, c’est ce que l’on avait notamment publié avec l’ensemble du réseau français.
De même, on peut imaginer que les variants génétiques des enzymes telles que la catéchol-O-méthyltransférase ou la monoamine-oxydase, et bien peuvent expliquer que le métabolisme va être plus lent ou plus rapide de la dopamine chez certains patients expliquant peut-être en partie que la dose doit être modifiée.

Alors, bien sûr, pour l’instant il n’est pas pratique d’envisager de faire un polymorphisme génétique - ça coûte un peu d’argent - et qu’à partir d’un polymorphisme génétique on va vraiment adapter le traitement des patients, en revanche on sait qu’avec les nouvelles techniques génétiques les « whole exome » notamment et d’autres techniques, et bien on pourrait avoir la carte complète génétique de la personne, bien sûr avec toutes les mesures de précaution et d’anonymisation, et là du coup on pourrait peut-être avoir des logiciels qui nous permettent rapidement de pouvoir calculer des doses ou prévoir des indications en fonction de ces cartes génétiques qui seront faites.
C’est probablement le futur dans la prise en charge des patients pour les maladies neurologiques mais plus largement aussi pour le cancer, maladies inflammatoires et autres.

Le polymorphisme COMT : quel est l’état des connaissances, combien de patients concernés quelles implications possibles ?

Alors, si l’on reprend dans le contexte de la maladie de Parkinson, depuis la synthèse avec la tyrosine hydroxylase, lorsqu’on donne le traitement par L-DOPA, sa métabolisation par la L-DOPA-décarboxylase où ensuite les transporteurs tel que le transporteur dopamine et puis le métabolisme avec la catéchol-O-méthyltransférase et la monoamine-oxydase et bien on peut imaginer qu’effectivement les différents variants vont moduler.

Si l’on fait un focus, notamment sur la catéchol-O-méthyltransférase, qui a été beaucoup étudiée, on sait que la population générale est répartie entre un quart de personnes qui vont avoir un métabolisme rapide de la catéchol-O-méthyltransférase et qui signifie que finalement, et bien chez ces personnes là la L-DOPA , pardon la dopamine, va être plus rapidement dégradée et un quart sont des métaboliseurs plus lents et donc pour lesquels ils vont laisser accumuler plus la dopamine notamment au niveau de la fente synaptique et puis les 50 % qui restent, et bien, sont intermédiaires.

Parti de ce schéma là, donc c’est un variant qui est très fréquent, qui a un impact assez important donc c’est assez intéressant de regarder la pharmacogénétique de la catéchol-O-méthyltransférase.
On peut donc imaginer à la fois un impact sur la posologie de la L-DOPA, on peut imaginer un impact sur l’apparition même des signes, il y a un travail qui avait été mené par le professeur Corvol qui montrait que effectivement les métaboliseurs très rapides et bien débutaient un tout petit peu plus tôt la maladie, non pas qu’il y avait un impact de neuroprotection ou autre mais c’est simplement par rapport à la quantité de dopamine. On peut enfin imaginer que si l’on met des inhibiteurs de catéchol-O-méthyltransférase et bien ces inhibiteurs vont être beaucoup plus efficaces chez les 25 % de métaboliseurs très forts car du coup on va avoir un impact important, intermédiaire dans 50 % des cas et finalement peu d’impact sur ceux qui métabolisent peu.

Donc on peut aussi imaginer que cette pharmacogénétique puisse influencer l’efficacité et la réponse thérapeutique à des patients à qui l’on prescrit un inhibiteur de catéchol-O-méthyltransférase. Ce qui donc montre aussi parfois le ressenti qu’ont certains prescripteurs puisqu’ils ont l’impression parfois que le traitement par inhibiteur de catéchol-O-méthyltransférase est très efficace chez certains patients et chez d’autres ils ont l’impression que finalement l’impact est modéré.

Quelle conclusion et quels messages retenir pour la pratique ?

On comprend donc que la pharmacogénétique va probablement prendre une place très importante dans les prescriptions du futur probablement avec l’innovation génétique et la carte génétique individuelle, il devrait pouvoir influencer à la fois la prescription en termes de risque d’effets indésirables chez certains variants, en terme d’indications parce qu’on sait que ça pourrait être des très bons répondeurs comme par exemple pour un inhibiteur de catéchol-O-méthyltransférase chez des patients qui ont des enzymes très actives, mais aussi cela pourrait donc moduler la posologie ou anticiper que chez telle ou telle personne la posologie soit plus importante ou moins importante.

Déclaration d’intérêts :

DD a reçu des honoraires d’Orion Pharma France pour des réunions d’expertise sur la maladie de Parkinson.