Pharmacien Hospitalier : un rôle clé dans le parcours patient

De l’analyse pharmaceutique à la conciliation médicamenteuse en passant par la consultation pharmaceutique et votre rôle de conseil auprès de vos collègues à l’officine, nous sommes conscient de l’importance de vos actions en tant que spécialiste du médicament.
Nous marquons notre engagement à vos côtés par la mise à disposition d’une équipe de délégués hospitaliers pour répondre aux questions sur nos traitements mais aussi par la participation à des congrès hospitaliers.
Venez nous retrouver sur le stand HOPIPHARM à Strasbourg du 24 au 26 mai 2023 !

Partage d’expérience

 

Interview du 22 avril 2021

Bonjour, je suis Thibaut Caruba, je suis pharmacien hospitalier à l’Hôpital Européen Georges Pompidou, spécialisé en pharmacie clinique avec une orientation sur la cardiologie.

Je vais, dans cette présentation, vous parler de la pharmacie clinique et des actions menées vers les patients insuffisants cardiaques.

Les deux principales actions que je mène sont premièrement une analyse pharmaceutique des ordonnances c’est-à-dire, selon la définition de la Société Française de Pharmacie Clinique, un bilan de médication. En pratique, chaque jour j’analyse pharmaceutiquement les ordonnances des patients hospitalisés en service de cardiologie en tenant compte des données cliniques, des données biologiques, de toutes les transmissions médicales et paramédicales disponibles dans le dossier du patient.

Ceci est possible au sein de l’hôpital car nous avons un dossier informatisé partagé - chaque corps de métier met ses informations à disposition pour l’autre professionnel - et un logiciel de prescription informatisée. D’autre part, je participe à la visite hebdomadaire au sein de ces services cliniques.

L’analyse pharmaceutique, l’incontournable de la sécurisation de la prise en charge

L’analyse pharmaceutique des ordonnances me permet de faire des propositions en vue d’améliorer de sécuriser et d’optimiser la prise en charge du patient.

Cela peut être :

  • des propositions d’adaptation de posologie pour les anticoagulants oraux directs en respectant les critères propres à chaque principe actif ;
  • de signaler l’existence sur la même prescription de deux médicaments qui peuvent allonger l’intervalle QT ;
  • de signaler l’absence de traitement pour une maladie chronique ;
  • et des choses très pratiques, comme signaler l’existence sur la prescription d’un médicament qui relève du circuit de la rétrocession, c’est-à-dire d’un médicament non disponible en pharmacie de ville. Il faut dans ce cas prévenir le patient et l’équipe soignante que le patient devra passer en pharmacie hospitalière pour récupérer ce traitement.
  • etc.

Des consultations pharmaceutiques sous différentes formes, dans le cadre de l’ETP ou à la demande

La deuxième action de pharmacie clinique que nous menons est une consultation pharmaceutique. Depuis de nombreuses années cette consultation pharmaceutique existe et était intégrée dans le programme d’éducation thérapeutique du service. Aujourd’hui cette consultation pharmaceutique a deux temps, un premier temps qui est fixe, hebdomadaire et concerne les patients insuffisants cardiaques qui viennent en consultation dans le cadre d’un hôpital de jour. Ce sont des patients insuffisants cardiaques avec de nombreuses comorbidités, de l’HTA, des cardiopathies ischémiques et/ou rythmiques, du diabète, etc., et qui ont de nombreux médicaments.

Deuxième type de consultation, il s’agit d’une consultation qui est réalisée à la demande et qui est destinée aux patients hospitalisés. Cette consultation peut être demandée soit par l’équipe soignante, soit par le pharmacien lui-même, après analyse de l’ordonnance et lecture du dossier patient, dès lors qu’un besoin spécifique pour le patient aura été identifié (défaut d’observance, incompréhension sur le rôle des médicaments, etc.).

La consultation pharmaceutique en pratique : du bon usage à l’observance

Dans un premier temps, il y a la lecture préalable du dossier du patient pour connaître son motif d’hospitalisation, son histoire clinique, son histoire médicamenteuse, ses antécédents, mais également ses perspectives thérapeutiques qui peuvent être un projet de greffe ou un projet d’assistance cardiaque.

Il est important, avant d’aller voir le patient, de définir avec le médecin les différents thèmes qui peuvent être abordés.

Lors de la consultation, nous allons essayer de créer du lien entre la maladie et les traitements pour que le patient comprenne leur intérêt dans sa prise en charge. À titre d’exemple :

  • expliquer au patient pourquoi il doit se peser et aider le patient à faire le lien entre les diurétiques, l’eau et la prise de poids ;
  • cibler uniquement une classe thérapeutique comme l’instauration d’un traitement par anticoagulant et expliquer les bénéfices et les risques de ce traitement.

Nous pouvons faire une consultation pharmaceutique plus ciblée sur l’observance en questionnant le patient également sur la manière dont il prépare ses traitements : a-t-il des piluliers, lui reste-t-il des médicaments à la fin du mois dans ses boîtes ? Des indices pour voir si cette consultation est pertinente.

Nous pouvons également :

  • sensibiliser le patient sur les signes d’aggravation : en cas d’insuffisance cardiaque, c’est l’acronyme EPOF, Essoufflement - Prise de poids - Œdème – Fatigue. Voir avec le patient s’il sait réagir en cas d’apparition de ces signes ;
  • discuter avec le patient, ce qui est toujours très intéressant, sur l’automédication. Les AINS sont-ils une classe thérapeutique habituelle dans son automédication ?
  • essayer de sensibiliser le patient sur la vaccination contre la grippe, contre le pneumocoque.

Les supports que nous utilisons pour réaliser la consultation pharmaceutique sont variés. Le point commun est toujours l’ordonnance du patient, ensuite nous pouvons réaliser des quiz ciblant la maladie et les traitements. Nous pouvons également utiliser des mises en situation en demandant au patient de se projeter, c’est-à-dire de nous dire quelle réponse ou quelle action il va déclencher face à une situation spécifique. Nous remettons généralement des fiches d’informations sur les médicaments pour consolider les acquis du patient. Ceci permet au patient de partir avec un support qu’il pourra consulter dès lors qu’il se posera une question. Parmi les autres documents remis au patient, nous pouvons citer des fiches spécifiques comme le livret pour les antivitaminiques K, une documentation sur la création d’un dossier pharmaceutique pour faire le lien avec le pharmacien d’officine, etc.

Il est important de noter qu’à la fin de la consultation pharmaceutique, le pharmacien rédige un compte-rendu qui, dans notre organisation actuelle, est lié au compte-rendu d’hospitalisation du patient, ce qui permet aux médecins et aux collègues de ville d’avoir l’information de cette consultation.

Au final, cette consultation est un moment d’échange, de discussion avec le patient et il faut veiller à ne pas le transformer en un cours de pharmacologie. C’est très important d’écouter le patient pour voir quelles sont ses attentes dans sa prise en charge.

Un soutien à l’optimisation de la prise en charge accueilli favorablement

L’accueil de l’activité de pharmacie clinique au sein du service clinique est par principe favorable car le pharmacien est une personne de plus qui va participer et contribuer à l’amélioration de la prise en charge du patient.

Le pharmacien est là pour proposer des améliorations, des optimisations thérapeutiques, c’est un vrai travail de partenariat. Ce partenariat va être d’autant plus efficace que le pharmacien participe à la visite médicale, et/ou aux staffs du service clinique, ce qui lui permet de connaître les habitudes de prescription, de répondre sur le terrain à des questions venant des infirmières, des prescripteurs ou du patient.

Pharmacien clinicien en cardiologie : un rôle défini

L’autre point essentiel est que le pharmacien doit connaître les recommandations de la société savante en vigueur dans le service clinique où il s’investit (dans le cas présent les recommandations de la Société Européenne de Cardiologie). Il est important de noter que dans un article de la Société Anglaise de Pharmacie Clinique paru en 2019 (United Kingdom Clinical Pharmacy Association Heart Failure Group and the Royal Pharmaceutical Society), étaient listés les connaissances que devait avoir le pharmacien s’impliquant dans un service de cardiologie.(1)

Afin que ce travail se passe bien dans le service clinique il est important qu’il soit tracé. Quand nous effectuons une analyse pharmaceutique de l’ordonnance, le logiciel de prescription informatisée nous permet de tracer toutes les propositions faites à l’équipe soignante que ce soit pour les infirmières et pour les médecins. Pour les consultations, il est important de tracer le compte-rendu pharmaceutique et qu’il soit disponible dans le compte-rendu hospitalier.

Les perspectives d’un suivi dynamique utilisant des outils numériques

Les perspectives pour nos activités au sein du service de cardiologie, et comme l’insuffisance cardiaque est une maladie chronique, vont être d’avoir un suivi dynamique. Nous proposons généralement un entretien initial qui est plutôt de l’information sous forme d’une discussion avec le patient, mais où finalement nous essayons d’informer le patient sur sa maladie et ses traitements. Quand nous revoyons le patient après plusieurs mois, nous utilisons des questionnaires pour voir si les acquis sont bien fixés et, en fonction des réponses données par le patient, nous retravaillons des points spécifiques.

Ce qui est également à utiliser et/ou à développer, c’est la mise à disposition des outils numériques pour pérenniser le travail qui a été initié pendant la consultation pharmaceutique.

Les interventions pharmaceutiques permettent une réduction du taux de ré-hospitalisation des patients insuffisants cardiaques

Dans cette partie, je vais maintenant vous parler des résultats observés dans la littérature avec les consultations pharmaceutiques spécifiquement menées pour les patients insuffisants cardiaque.

En préambule, les chiffres concernant l’insuffisance cardiaque (IC) sont les suivants : il s’agit d’une maladie dont la prévalence est de l’ordre d’à peu près 2,3 % de la population, c’est à dire que cela concerne 1,2 millions d’adultes français avec un nombre de décès qui en 2017 était de 70000 décès. Dans son dernier guide, l’HAS en 2015 rappelait qu’après une première hospitalisation pour IC, 1/3 des patients décédait dans l’année, 50 % étaient ré-hospitalisés dans l’année et parmi ces patients ré-hospitalisés à nouveau la moitié était hospitalisée précocement c’est à dire dans les 30 jours.(2,3)

Les deux autres chiffres importants, issus d’une étude prospective parue en 2016, étaient que le premier motif de ré-hospitalisation était la non-observance des patients face à leur traitement et qu’entre le moment où les patients avaient des symptômes annonçant une décompensation cardiaque et le moment où ils étaient hospitalisés, il y avait un délai de 16 jours, délai pendant lequel le patient peut encore agir pour éviter l’hospitalisation.(4)

Donc en résumé, l’insuffisance cardiaque est une maladie chronique grave avec un retentissement fonctionnel et psychologique important.

Je vais vous présenter maintenant les données de la littérature concernant les interventions pharmaceutiques de pharmacie clinique orientées sur les patients insuffisants cardiaques ; ces données sont dans l’ensemble homogènes.

Il existe de nombreuses études qui montrent que les consultations pharmaceutiques permettent une réduction des ré-hospitalisations à J30. Une étude de l’équipe de Neu et al en 2020(5) et une étude de l’équipe de Hahn et al en 2019(6) montrent une forte réduction significative des hospitalisations à J30 pour les patients qui ont bénéficié d’une consultation pharmaceutique. Ces études ont montré que si les consultations pharmaceutiques étaient répétées, le bénéfice était d’autant plus important pour éviter les ré-hospitalisations.

Une autre étude qui s’appelle l’étude PHARM-CHF parue en 2020(7), étude sur des patients randomisés, a montré que les consultations pharmaceutiques versus les soins courants permettaient une amélioration significative de la qualité de vie ; la qualité de vie avait été mesurée selon le questionnaire Minnesota, questionnaire spécifique pour les patients IC. En revanche, dans cette étude, s’il y a eu bénéfice sur la qualité de vie, il n’y a pas eu d’amélioration significative sur les symptômes selon l’échelle NYHA.

Concernant l’analyse pharmaceutique des ordonnances, l’étude parue en 2019 de Georgiev et al(8) a mis en évidence que sur les ordonnances des patients qui étaient dans un service de cardiologie, les interventions proposées par le pharmacien permettaient de mettre en évidence un nombre d’interactions qui était d’autant plus important qu’il y avait un grand nombre de médicaments prescrits, mais surtout que 6,5 % de ces interactions nécessitaient une modification de prescription car elles étaient jugées comme sévères.

Et si nous regardons les méta-analyses : la dernière publiée sur le sujet est une méta-analyse de 2019 de l’équipe de Parajuli et al(9) avec 16 études randomisées contrôlées, qui a regroupé plus de 4400 patients. Elle met en évidence que les activités de pharmacie clinique permettent une réduction significative des hospitalisations toutes causes confondues et améliorent l’adhérence du patient à son traitement. En revanche dans cette méta-analyse il n’y a pas de réduction significative de la mortalité.

Il est important de noter que dans les dernières recommandations de la Société Européenne de Cardiologie parues en 2016(10), le recours aux équipes pluridisciplinaires, et donc à l’activité de pharmacie clinique, est mis en avant. En revanche, il n’y a pas de niveau de preuve associé à cette recommandation en raison de la variabilité des actions possibles.

Du bon usage à l’observance : la pharmacie clinique au service de l’optimisation de la prise en charge

Pour conclure, la pharmacie clinique est un ensemble d’actions qui vont avoir pour but de sécuriser et d’optimiser la prise en charge du patient. Ces actions sont menées aussi bien par le pharmacien d’officine que par le pharmacien hospitalier. Ces actions sont encouragées et encadrées par des textes officiels et, la tarification en vigueur est également réglementée.

Il est important avant de développer des actions de pharmacie clinique de définir les patients auxquels elles vont pouvoir être proposées. Il est important également de définir les outils utilisés pour tracer cette activité car ces outils vont permettre ensuite d’échanger avec l’équipe soignante ce qui est essentiel.

En conclusion comme le dit la Société Française de Pharmacie Clinique dans sa définition, la pharmacie clinique est une discipline de santé centrée sur le patient, le pharmacien travaille donc en collaboration avec l’ensemble de l’équipe soignante, mais aussi avec le patient lui-même, pour sécuriser et optimiser sa prise en charge.

 

  1. Forsyth et al. A competency framework for clinical pharmacists and heart failure. Int J Pharm Pract. 2019;27(5):424-435
  2. Haute Autorité de Santé. Guide du parcours de soins « Insuffisance cardiaque » 2014.
  3. Tuppin P, Cuerq A, de Peretti C et al. Two-year outcome of patients after a first hospitalization for heart failure: A national observational study. Arch Cardiovasc Dis. 2014;107(3):158-68.
  4. Wu JR, Lee KS, Dekker RD, et al. Prehospital Delay, Precipitants of Admission, and Length of Stay in Patients With Exacerbation of Heart Failure. Am J Crit Care. 2016;26(1):62-69.
  5. Neu et al. Impact of Pharmacist Involvement in Heart Failure Transition of Care. Ann Pharmacother. 2020;54(3):239-246
  6. Hahn et al. Effect of Pharmacist Clinic Visits on 30-Day Heart Failure Readmission Rates at a County Hospital. Hosp Pharm 2019;54(6):358-364.
  7. Schulz et al. The impact of pharmacist/physician care on quality of life in elderly heart failure patients: results of the PHARM-CHF randomized controlled trial. ESC Heart Failure 2020;7: 3310–3319.
  8. Georgiev et al. The role of the clinical pharmacist in the prevention of potential drug interactions in geriatric heart failure patients. Int J Clin Pharm 2019;41(6):1555-1561.
  9. Parajuli et al. Effectiveness of the Pharmacist-Involved Multidisciplinary Management of Heart Failure to Improve Hospitalizations and Mortality Rates in 4630 Patients: A Systematic Review and Meta-Analysis of Randomized Controlled Trials. J Card Fail. 2019;25(9):744-756.
  10. Ponikowski et al. 2016 ESC Guidelines for the diagnosis and treatment of acute and chronic heart failure. Eur Heart J 2016;37(27) :2129–2200.

Déclaration d’intérêts :
TC a reçu des honoraires d’Orion Pharma France pour des réunions d’expertise sur l’insuffisance cardiaque.